Janvier est un bon mois pour l’auteur dramatique. Il porte des culottes chaudes, marche dans la neige et oublie le 17 de téléphoner à sa sœur Roseline dont c’est la fête. Les pièces qu’il écrit entre le 9 et le 28 sont lourdes et chaudes mais digestes. Ses personnages ont le caractère savoyard voire espagnol si le temps est clair. L’auteur dramatique s’il n’a pas la fève en souffre plus que la plupart des gens. C’est sa faiblesse, il la connaît, il évite donc les repas en famille le jour de l’Épiphanie. En janvier il se lève à 8 h 45 et se couche à 22 h 10. Son animal préféré est le canard, son jour favori le mardi et la chanson qu’il fredonne est turque.
C’est pendant la première quinzaine de février que l’auteur dramatique en veut à Shakespeare, Molière et Marivaux d’avoir écrit à peu près toutes les histoires qui peuvent exister entre les gens. Vers le 18, son ressentiment fait place au désir d’épouser sa cousine ou de servir dans la Royal Navy si sa cousine est un homme. L’auteur dramatique se lève rarement de bonne humeur en février sauf les années bissextiles, par contre il se couche toujours sur le dos. Son plat préféré est le pied de porc, son peintre favori Odilon Redon et le sport qu’il pratique est slovaque.
En mars l’auteur dramatique écrit sous son lit, fréquente des amis belges et ne va pas chercher ses recommandés à la poste. L’arrivée du printemps guérit son eczéma mais n’augmente pas son talent. Ses pièces de mars sont des comédies graves qui parlent de l’impossibilité d’être un héron ou de la place considérable que prennent ses voisins dans son existence. Il ne se lève pas, de peur de se cogner la tête contre son sommier. Sa fleur préférée est le pétunia, son médecin favori le gastro-entérologue et la voiture qu’il conduit est cassée.
L’auteur dramatique est absent en avril.
Mai. Si le mois débute par un jeudi ou un orage, l’auteur dramatique a tendance à écrire en alexandrins, sinon il va à la pêche. Les jours fériés qui prolifèrent l’obligent à avoir une opinion politique, ce qui le contrarie. Si l’auteur dramatique habite dans la Beauce, il s’habille d’une chemise à manches courtes et d’un pantalon bleu pâle pour séduire les paysannes qui apparaissent dès les premières chaleurs. Il se lève d’un bond et se couche en chien de fusil. Son meuble préféré est le tabouret, son membre favori la jambe et sa banque est hollandaise.
Le mois de juin est indéniablement le mois le plus difficile pour l’auteur dramatique. C’est à cette époque de l’année que son frère revient d’Afrique et enchante tous ses amis avec son histoire de phacochère qui lui aurait fait une déclaration d’amour près d’un acacia. Le succès remporté par une telle vulgarité détruit l’inspiration de l’auteur dramatique qui n’écrira plus une ligne jusqu’en septembre et c’est dommage, car il passera juillet et août en Grèce patrie d’Eschyle et d’Aristophane qui auraient pu lui donner des idées. Il ne se relève pas il se traîne, il ne se couche pas il l’est déjà. Sa boisson préférée est l’aspirine effervescente, son objet favori la longue-vue et son épouse est au cinéma.
Pour ne vexer ni César ni Auguste, l’auteur dramatique ne dissocie jamais juillet et août. Pour lui c’est un seul mois, comme Roux et Combaluzier sont un seul ascenseur. À cette période, les mathématiques lui semblent accessibles, la fabrication de l’huile d’olive aussi. C’est souvent son anniversaire quand ce n’est pas en décembre. Il se lève à la belle étoile et se couche sous les nuages. Son numéro de téléphone préféré se termine par 4, son musicien favori est Erik Satie et son ami d’enfance est bègue.
Septembre. C’est à partir du 15 que l’auteur dramatique porteur d’un chef-d’œuvre l’écrit. S’il n’en porte pas il copie sur son voisin. Les vendanges l’indiffèrent, la rentrée des classes lui rappelle de mauvais souvenirs et il ignore que saint Apollinaire se fête le 12. Il se lève à l’aurore pour surprendre le lièvre et se couche à l’aube sans l’avoir vu. Son océan préféré est l’Indien, son fossile favori l’ammonite et il aime sa baignoire.
Octobre. Dès l’arrivée des premiers frimas, l’auteur dramatique rend visite aux directeurs de théâtre dont le chauffage marche bien. Les feuilles qui jaunissent, les jours qui s’abrègent et le Salon de l’auto donnent à ses écrits une émotion particulière. Il peut attraper une bronchite. Il se lève avec les poules et se couche avec d’autres. Son héros préféré est Artaxerxès, son arme favorite l’arquebuse et ses pensées vagues abondent.
S’il se rend volontiers à l’enterrement d’un critique l’auteur dramatique rechigne à assister au défilé du 11 Novembre. À la Toussaint, la coutume veut qu’il marie son fils, batte sa fille et quitte sa femme. C’est le moment de l’année où naît en lui l’idée que le bon et le mauvais se valent, ce qui lui permet d’envisager une postérité pour son œuvre. Il est heureux aux alentours du 25, inquiet le 12 et le 26 et se laisse pousser la barbe vers le 17. Il se lève comme tout le monde et se couche sans attendre les autres. Son accent préféré est le circonflexe, sa bataille favorite Austerlitz et les chaussures qu’il porte sont waterproof.
Décembre. L’auteur dramatique ne va jamais à la plage à Noël. Il aime offrir à ses amis proches des cendriers. C’est le mois où, comme le bousier sa crotte, il porte sa famille sur le dos le soir du réveillon. Il a envie d’écrire une comédie sur la Sainte Vierge mais n’ose pas, alors il fume la pipe. Souvent il s’endort l’après-midi et rêve qu’il est une cerise. Il se lève parce qu’il faut bien et se couche sans s’en apercevoir. Sa ville préférée est Paris, son plaisir favori Paris et l’endroit où il vit est Paris.
4 janvier 2004